Yoga et développement personnel


Au moment où j'écris cet article, nous sommes en pleine deuxième vague de Covid en France. J'habite Paris, je viens de vivre le couvre-feu dans un premier temps et le deuxième confinement depuis maintenant une semaine.
J'ai eu la chance de pouvoir faire une provision de livres avant ce deuxième confinement. Parmi ces livres il y a le bestseller de Raphaëlle Giordano, "Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une", et "Yoga" d'Emmanuel Carrère.

J'ai lu une partie du livre de Raphaël Giordano que j'ai interrompu pour commencer le livre d'Emmanuel Carrère. Comme nous venons de vivre plusieurs attentats meurtriers et qu'Emmanuel Carrère parle beaucoup des attentats de Charlie dans son livre et cite à plusieurs reprises Soumission de Houellebecq, j'ai aussi lu rapidement Soumission.
Je jette quelques idées que je reprendrai plus tard, que j'éclaircirai, sur le rapport entre Yoga et développement personnel. Une espèce de pense bête amélioré.


Le Yoga est une discipline de plus en plus à la mode. Chacun essaie actuellement de rejoindre ce marché et d'avoir sa part du gâteau. Emmanuel Carrère ne s'en cache pas lui qui a pour principe de n'écrire que la vérité.
J'ai beaucoup aimé le début de son livre qui parle de façon authentique de sa pratique de diverses disciplines de spiritualités asiatiques : Taï Chi, Karaté, Méditation, Yoga.
Il parle du même coup de cette population adepte de ces disciplines. On y retrouve toujours un peu les mêmes personnes, en recherche, en souffrance, en quête de sens ou de profondeur. Souvent de grands solitaires, des écorchés vifs. Emmanuel Carrère ne cache pas ses épisodes de dépression et ça sera finalement le sujet de son livre initialement dédié au Yoga.
Le Yoga est loin d'être aussi net qu'il prétend l'être. Enfin, le Yoga lui-même ne prétend rien, ce sont plutôt ses adeptes et en particulier ceux qui essaie d'en faire un gagne-pain.
J'ai beaucoup lu sur le Yoga, j'en fait plus ou moins assidument depuis dix ans et, comme Emmanuel Carrère, je suis tombé dans la spiritualité asiatique très jeune, à l'âge de 17 ans. ça a commencé par le bouddhisme Zen qui m'a même amené à faire des études de japonais que je parle encore correctement. Il y a eu ma période Kendo, ma période Aïkido, puis ma période Karaté. Moi aussi j'ai pratiqué la circulation énergétique du petit véhicule.

La culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié, alors qu'est ce que je pourrais dire sur le Yoga, comme ça, sans relire de passages de livres ou aller sur Internet ?
C'est à la fois une discipline très ancienne et très récente.
Très ancienne parce que le premier texte de Patanjali a été écrit entre -200 avant Jésus-Christ et 200 après Jésus-Christ. Ensuite on retrouve des citations de la pratique dans des textes indiens mais les Yogi n'ont pas bonne presse. Ils sont décrits comme des espèces de vagabonds vivant dans les montagnes qui viennent de temps en temps terroriser les villageois et qui essaient d'avoir des rapports sexuels avec les jeunes villageoises.
On peut de ce fait les rapprocher des moines taoïstes qui s'isolaient dans les montagnes eux aussi, sans le côté sexuel.
Le côté sexuel, tantrique est une dimension du Yoga à ne pas négliger. J'ai l'impression que c'est une veine importante de la discipline bien qu'elle ait été à la fois édulcorée par les Yoga qui présentent des branches éthiques et qui de ce fait prônent les bonnes mœurs et à la fois mise en avant par exemple par Iyengar quand il fait de la puissance sexuelle qu'offre le Yoga un argument de vente auprès des occidentaux.
C'est aussi une discipline très récente puisque la pratique avait complètement disparu et qu'elle a été "réinventée" en 1920 par Krishnamacharya. Celui-ci a eu deux disciples importants, Iyengar et Sri K. Pattabhi Jois. Iyengar a répandu son Yoga en Europe dès les années 50 en particulier parce qu'il a eu comme élève et ami le grand violoniste Yéhudi Ménuhin. Sri K. Pattabhi Jois a évangélisé beaucoup plus tard les Etats-Unis parce qu'il a eu comme disciples Gwyneth Paltrow à ses heures de gloire puis Madonna, Sting, et d'autres célébrités.
Finalement, la vraie mode du Yoga que nous connaissons actuellement en Europe est venue comme toujours des Etats Unis. Le Yoga de Sri K. Pattabhi Jois, l'Ashtanga, plus fluide, plus dynamique que celui d'Iyengar a plu aux américains au point de finir par générer plus de chiffre d'affaires aux Etats Unis que Mac Donald. Les américains ont dérivé le style Ashtanga assez sévère en quelque chose de plus doux, de plus ludique, de plus New Age, en imaginant des cours où les mouvements s'enchaînaient sur de la musique douce. Le Vinyasa flow était né. Ce n'est ni plus ni moins qu'une nouvelle forme d'aérobic plus douce.
ça permet aux américains de bouger et de se déstresser sans risquer de se déchirer un muscle, se démettre une articulation ou de contracter une tendinite. Moi je dis, pourquoi pas, c'est sain, ça fait du bien.

Là où j'ai plus de mal c'est justement quand la discipline s'empare totalement de la vie d'un occidental.
C'est là où j'ai envie de faire rentrer en scène le développement personnel.
Je reviens à cette notion pas très bien connue des européens et très chère aux américains de "role model", le modèle de rôle. On retrouvait déjà ça chez le père du développement personnel, Maslow, avec sa notion de surhomme, d'homme supérieur. ça fait toujours peur aux européens cette histoire-là, et à moi en premier, parce que ça rappelle celui de Nietzsche et de ce que les nazis ont fini par en faire.
J'ai beaucoup réfléchi à cette notion d'homme supérieur, de modèle de rôle, et je commence à pouvoir en présenter une version sympathique.
Le modèle de rôle (je déteste l'expression, où donc les américains sont ils allés chercher ça) c'est quelqu'un qui est à la fois extraverti et très peu névrosé.
J'ai écrit un article dans ce blog où une étude récente de la personnalité humaine tend à démontrer que les adultes à peu près réalisés peuvent se diviser en deux groupes : les introvertis peu névrosés et les extravertis névrosés. Le modèle de rôle serait l'exception de l'individu à la fois extraverti et peu névrosé.

ça c'est pour la définition purement américaine de base qui s'attache essentiellement à la réussite sociale et qui peut considérer un parrain de la mafia comme un modèle de rôle. Il n'y a qu'à voir la qualité de certains de leurs hommes politiques pour s'en rendre compte.
Certaines caractérologies plus complètes ajoutent une dimension éthique à l'évaluation de la personnalité. Pour ces caractérologies un modèle de rôle serait alors un individu extraverti, très peu névrosé et doté d'un fort sens éthique. Mettant donc au service de sa vie et de celles d'autrui son enthousiasme, sa capacité à communiquer, et son envie de rendre le monde meilleur.
Comment le Yoga s'articule avec tout ça ?
L'idée c'est de se dire qu'au sein de notre vie sociale qui ne va pas sans une certaine pression, sans beaucoup d'adversité, d'épreuves de toute sorte, il faut un moment où l'on s'extrait de tout ça pour retourner à l'essentiel. On retrouve ça d'ailleurs dans beaucoup de religions que ce soit le Shabbat dans la religion juive ou le jour du seigneur chez les chrétiens. je connais moins bien l'Islam, mais j'imagine que ces moments d'extraction du monde existent aussi et certainement dans les 5 prières quotidiennes.

Cette extraction, ce recentrage, ce retour à l'essence même de la vie, cette idée que nous n'en avons qu'une terrestre et qu'elle s'achèvera un jour et que chaque jour, chaque moment est précieux, cette reprise de sensation de la vie qui coule en nous, est essentielle pour donner au monde, aux autres, le meilleur de nous-mêmes. On peut aussi appeler ça un recentrage. Il y a ça dans la pratique du Yoga physique. Surtout si elle est quotidienne.

D'autre part, le vrai Yoga ne se limite pas à la gymnastique, il y a d'autres exercices, sur le souffle, et des formes de médiations. c'est une hygiène de vie complète avec parfois comme je le citais plus haut la recherche d'une éthique.
Bien sûr dans l'occident spectaculaire et mercantile tel qu'il est, c'est devenu un spectacle d'acrobaties pour vendre des cours, des fringues qui moulent le cul et des produits de beauté bio. Mais ça ne devrait pas être ça.
L'aspect gymnastique est intéressant. C'est vraiment oriental cet aspect de la prière en mouvement. Il n'y a que dans le christianisme occidental que la prière est devenue exclusivement cérébrale. Même dans le christianisme oriental, dans l'orthodoxie russe et grecque on retrouve des prières qui mêlent mouvements qui ressemblent aux salutations au soleil associées à des mantras : les métanies. Bien sûr on retrouve cela aussi dans l'Islam.
Ce retour à l'activité physique dans le recueillement, le recentrage, appelons ça comme on veut est un bienfait pour l'occident. En ce sens déjà, le Yoga est salutaire pour l'occidental.
Cett idée d'entretenir son corps, sa force, sa souplesse, son endurance. Cette idée d'avoir un corps présentable, agréable, aux gestes fluides. Cette gymnastique spirituelle fait disparaître la dichotomie être/paraître, tellement occidentale elle aussi. En travaillant des mouvements dans le recueillement on travaille à la fois son être et son paraître et un paraître profond. Non seulement un corps svelte et fort aux mouvements fluides, mais un corps duquel émane du bien être, du confort à vivre, une joie profonde. Ces qualités sont un don à l'autre. L'effort sur ce paraître profond s'apparente plus à un travail sur une décence, comme une hygiène élargie.
Voilà l'exposé sommaire de ma vision du Yoga. Il condense plusieurs éléments indispensables au développement personnel : l'activité physique, le recentrage, une hygiène de vie élargie. Il doit s'inscrire dans une vie équilibrée qui laisse la place à l'interaction avec autrui, un travail épanouissant, la prise graduelle de responsabilités, une vie affective riche et la recherche d'un épanouissement intellectuel. J'ai beaucoup de mal avec les dérives sectaires du Yoga qui vont à l'encontre de cet équilibre soit parce qu'elles sont trop spirituelles soit parce qu'elles sont trop physiques et focalisées sur le spectacle et le paraître superficiel.
Je rejoins dans ce sens la vision Balinaise de la santé où toutes les parties de la vie humaine, toutes ses facettes, doivent s'équilibrer. Le Yoga ne peut être qu'une partie, s'il se met à cannibaliser la vie du pratiquant, nous sommes dans une dérive malsaine.

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