Revisiter Maslow

Ce qu'il y a de bien avec un confinement, si ses conditions sont saines (pas de malades dans votre entourage, pas de perte d'emploi ni de tensions au travail, télétravail, ambiance calme et sereine là où vous vous êtes confiné), c'est qu'à la fois il vous invite à la réflexion et qu'il vous donne en même temps le loisir de la réflexion.

Quand on entame ce travail de réflexion, quand par exemple, on se remet à lire des livres où sont majoritairement exposées des idées (et qui ne sont pas forcément des essais) et qu'on s'est penché sur le travail d'Abraham Maslow à un moment de sa vie, on ne peut s'empêcher de se dire : "ça y est je commence à atteindre le sommet de la pyramide, je me mets à travailler sur mon épanouissement intellectuel". Puis, tout aussitôt, on peut trouver ça complètement bête cette idée de hiérachie des besoins, une hiérarchie pour laquelle les besoins vus comme "nobles" (épanouissement intellectuel et spirituels) seraient placés au sommet d'une pyramide.
Surtout si on met en regard de cette hiérachie des besoins l'approche balinaise de l'équilibre de la personne pour laquelle tous les besoins se valent, et qui vise surtout à diagnostiquer ceux qui ne sont pas assouvis.

Dans le style, "la culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié", comme je l'ai fait dans l'article précédent, j'ai soudain envie de me repencher sur les théories d'un des pères fondateur du développement personnel, Abraham Maslow, et de les challenger.

Si je devais faire un rapide résumé des théories de Maslow, ça donnerait à peu près ceci :
Maslow a été un fervent lecteur et admirateur des existentialistes. Il s'est ensuite consacré à un travail psychologique pouvant permettre à la personne d'augmenter sa conscience d'exister. Il y a à la base, dans le travail de Maslow, une réflexion qui concerne un domaine de la philosophie qu'on nomme l'ontologie : "Qu'est ce qui va faire que je me sens plus réel, que je sens le réel plus réel, que j'ai plus conscience du monde qui m'entoure et de mon intéraction avec ce monde, que j'ai plus conscience de la vie que je suis en train de vivre, des moments qui passent ? Qu'est ce qui va faire qu'au moment où je mourrai, je pourrais dire sans hésiter que j'ai vécu, que je ne suis pas passé à côté de ma vie, que je ne l'ai pas vécue comme un fantôme, un zombie ?".
Le développement personnel est souvent vu comme un travail sur le "mieux-être", mais il ne faut pas oublier qu'à la base, Maslow, un de ses pères fondateur, s'est d'abord intéressé au "plus-être".

D'ailleurs "Vers une psychologie de l'être" commence par dire que la souffrance n'est pas forcément une mauvaise chose. Elle est parfois nécessaire et salutaire et parfois inutile mais complètement inévitable. C'est un peu de ce constat qu'il part, d'ailleurs, pour initier la fondation de son corps théorique. Il trouve chez les existentialistes l'illustration pratique, vivante, active, d'une démarche permettant d'accéder au "plus-être", mais il déplore que la contrepartie soit autant de malaise, de souffrance, de tristesse. Il émet alors la théorie selon laquelle il est possible d'accéder à un "plus-être" dans le plaisir, le bien-être, la joie. ça va devenir pour Maslow le travail d'une vie.

Il émet ensuite, s'opposant à Freud, l'hyptohèse selon laquelle les névroses proviennent de besoins essentiels non comblés, fait la liste des ces besoins et les hiérarchise. C'est la fameuse pyramide de Maslow. C'est ce que la majorité des gens retiennent de Maslow, la pyramide. Comment combler ses besoins pour aller mieux, se sentir bien. Mais là on met de côté tout une partie de son travail, celle du, "comment être plus, comment se sentir exister davantage ?".

C'est là que Maslow devient un peu fumeux. Il nous explique qu'au dernier stade de la pyramide, dans la partie purement spirituelle, non verbale, il est possible, par l'art, la prière, l'étude, l'amour d'expérimenter des états de conscience modifiée. C'est ce qu'il nomme les "peak experiences" traduit en français par les expériences paroxistiques. Ces illuminations, ou trips, appelons ça comme on veut, permettent d'augmenter la conscience d'exister.
Je ne pense pas que ça soit faux, j'ai moi-même expérimenté ça plusieurs fois, mais ça fait quand même très seventies. Gurdjief, Ginsberg et le LSD ne sont pas loin.
Il y a aussi cette notion d'homme supérieur, l'être accompli, qui parfois trébuche mais ne tombe jamais. Enfin la notion d'état ressource auquel nous pouvons faire appel quand les névroses commencent à repointer le bout de leur nez et qui est certainement la notion la plus connue de Maslow, puisque qu'elle a été reprise par la Programmation Neuro Linguistique dans le concept d'ancrage et largement diffusée par Raphaëlle Giordano dans son bestseller.

L'homme supérieur de Maslow, c'est peut être le prototype de ce qui deviendra le "role model", plus tard, dans l'inconscient collectif américain. C'est aussi un des présupposés des théories de Maslow. Il s'oppose à Freud là dessus aussi. Il déplore chez Freud, dans l'élaboration de ses théories psychologiques, l'étude des dysfonctionnements de l'esprit et de l'âme. Maslow, quant à lui, veut étudier des représentants de la pleine santé mentale, des être pleinement sains, et en faire, de ce fait, le modèle à suivre, à approcher pour ceux dont l'âme souffre. C'est aussi cela l'homme supérieur de Maslow. Ce modèle de santé psychique et mentale duquel on va essayer de se rapprocher toute la vie durant.

Encore cette hiérarchie qui me appelle Lao Tseu
Quand l'homme supérieur trouve le Tao, il s'arrange pour le garder auprès de lui toute sa vie.
Quand l'homme moyen trouve le Tao, parfois, il le garde, parfois il le perd
Quand l'homme vulgaire trouve le Tao, il rit. S'il ne riait pas, ce ne serait pas le Tao

Hum, j'ai toujours eu du mal avec ça... Hiérarchie des besoins, plus c'est spirituel, plus c'est "noble", hiérarchie des hommes aussi...

Pourtant, il y a une autre manière de penser les théories de Maslow. Les remettre dans le contexte de la psychologie humaniste dont il partage la vedette avec Karl Rogers.
C'est un des grands reproches fait au développement personnel. Parce que justement, il est... personnel. Cette histoire de faire croire aux gens qu'en travaillant sur eux-même il vont parvenir à la réussite sociale, atteindre la vie de couple parfaite, la réussite familliale, la gloire, la reconnaissance. Toujours cette idée de modèle de rôle. Toujours cette idée de réussite individuelle, égoïste.
Comme le dit Wikipédia : "Dans Smile or Die (2009), l’autrice américaine Barbara Ehrenreich mettait en garde contre l’intériorisation à outrance des problèmes de vie que proposent la psychologie positive et le développement personnel : « Si la psychologie positive dit vrai, à quoi bon plaider en faveur de meilleurs métiers, de meilleures écoles, de quartiers sûrs ou d’une couverture santé universelle ? »
Donc reprenons Maslow dans le cadre d'une vision humaniste. Les premiers besoins, la base de la pyramide, c'est la paix, la sécurité, manger à sa faim, avoir un toit. Et là effectivement peut s'articuler une action sociale pour que tous puissent bénéficier de ces besoins primaires et vitaux.
Le besoin d'épanouissement intellectuel, si on lit Maslow un peu plus en profondeur, permet de travailler sur ses croyances, les croyances influant ensuite sur le comportement. Là aussi ce travail peut et devrait déboucher sur une action sociale pour le bien être de tous. Action sociale chère aux existentialistes qui ont inspiré Maslow. La boucle est bouclée.

Pour la partie individuelle, il faudrait souligner la partie du travail de Maslow qui a été oubliée, le "plus être", un sentiment d'exister plus fort, et relativiser la partie "mieux-être", plus de réussite sociale et de confort.
C'est là que le Yoga par exemple peut entrer en scène. Cette pratique va recentrer le pratiquant sur son noyau vital. Sa santé, sa conscience de vivre, son plaisir d'exister. Les frustrations sociales résistent mal à ce genres d'expériences, même si elles ne sont pas forcément paroxistiques.
ça me fait d'ailleurs penser que de grands Yogi comme Eva Ruchpaul mettent en garde les pratiquants concernant les "extases" éventuelles ressenties pendant la pratique. Elle peuvent avoir un effet addictif et mettre la pratique en ruine quand elles n'apparaissent plus. Ce genre de phénomène extatique est très erratique. Dans la pratique du Zen aussi, les maîtres mettent en garde les pratiquants contre ces effets qualifiés de Makyo, même s'ils peuvent paraître agréables ou donner l'impression au pratiquant qu'il acquière des pouvoir paranormaux parfois vérifiés d'ailleurs, car la conscience s'éveille et s'affute et l'on se met à voir et à comprendre des choses qui étaient auparavant invisibles ou imperceptibles. Il ne faut pas s'y attacher, c'est sans importance comme les pensées pendant la méditation, rien n'a d'importance à part la conscience d'exister au moment présent lors de la pratique.
C'est peut être ce qui manquait à Maslow, j'écrirai pour conclure. Pour que sa psychologie débouche sur un développement personnel humaniste et au final une amélioration au niveau du groupe, de la société, la pratique d'une activité physique qui recentre le pratiquant sur son noyau vital, qui cadre sa vie et qui soit porteuse d'une éthique. L'aspect régulier et la discipline de vie qui en découle sont importants. Le Yoga fait l'affaire, mais pas seulement. Certains sports d'équipe pourraient très bien jouer le même rôle s'ils sont pratiqués dans un contexte éclairé et peut être plus que certaines pratiques sectaires du Yoga.


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